jeudi 8 mars 2007

Textile

Dans Paris Obs :

Grossistes Le casse-tête chinois
Des années que les riverains pointent les nuisances liées aux commerces de gros dans les 3e et 11e. Les maires se mobilisent. Chacun sa méthode. Petit jeu des comparaisons.

Maroquiniers et bijoutiers contre textile

Le secteur Beaubourg-Temple (3 e ) recense près de 300 magasins concentrés dans les rues des Gravilliers, au Maire, Chapon : soit 60% des maroquiniers de gros de la capitale et 90% de la bijouterie. De son côté, celui de Sedaine-Popincourt (11 e ) compte 550 grossistes, tous spécialisés dans le textile. Si les ateliers de fabrication se font rares, l’importation de marchandises, principalement de Chine, elle, gagne du terrain. Partout, les habitants trinquent : le ballet de camions de livraison, jour et nuit, apporte avec lui son lot de pollution, de bruit et d’embouteillages. Au fil des ans, les commerces de proximité ont disparu. Résultat, la vie de quartier se meurt.

Implantation historique contre déferlement récent

Le 3 e est historiquement familier à la fois des Chinois – les Wenzhous, des paysans de la province du Zhejiang, au sud de Shanghai, installés depuis la Première Guerre mondiale – et des grossistes : des artisans juifs d’Europe de l’Est arrivés dans les années 30 convertis en vendeurs de gros après la Seconde Guerre. Le maire PS du 3 e , Pierre Aidenbaum, est lui-même fils d’un chapelier de la rue du Temple. Le 11 e , lui, s’est pris de plein fouet cette avalanche de marchandises. En quelques années seulement, le secteur est devenu une vitrine commerciale et un gigantesque entrepôt.

Guerre d’usure contre négociation

Depuis plusieurs années, le maire MRC du 11 e Georges Sarre joue le bras de fer et fait pression sur les services de police, du fisc ou encore de l’Urssaf afin qu’ils enchaînent enquêtes et vérifications d’identité dans les boutiques. Début février, il a renouvelé l’opération « Mairie en colère » : fermeture de ses services administratifs, manifestations de riverains mêlés à quelques excités d’extrême droite à la rhétorique xénophobe. Côté Beaubourg, l’ambiance est à la discussion. Stérile, selon cer tains. Nécessaire, pour les autres. Aidenbaum vient de commander une étude à l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme) pour établir un diagnostic. Il a ouvert dans des locaux de la mairie une antenne de l’association Pierre Ducerf chargée d’informer les Chinois sur les formations professionnelles. Et a tenté de convaincre une cinquantaine de commerçants de déménager vitrines et entrepôts en périphérie. « Tout est basé sur la bonne volonté », déplore Martine Burgos de l’association des Gravilliers. Après des mois de négociations, les magasins de gros ont décliné l’offre d’un propriétaire à Aubervilliers (93). Motif officiel : loyer trop cher. « C’est plutôt le montant du dédommagement qui leur était offert qu’ils ont jugé insuffisant », rectifie Monique Massaferro, vice-présidente de l’association Ecologie pour Paris. Le maire encourage aussi la réfection des vitrines des showrooms parisiens et le déménagement hors périf des seuls entrepôts. Répressif parfois, il incite à la verbalisation des camions livreurs qui s’éternisent sur le bitume. Grâce à des brigades spéciales autorisées à dresser des PV. Un projet à l’étude.

Une stratégie commune : le rachat des boutiques

Vingt boutiques dans le 3 e et 56 dans le 11 e sont passées sous le nez des grossistes depuis fin 2004. C’est la Semaest, une société d’économie mixte, financée par un prêt de la Ville de Paris de 54,5 millions d’euros sur dix ans, qui préempte les locaux commerciaux en vente. Dès qu’un propriétaire souhaite vendre, elle achète. « Encore faut-il qu’elle soit au courant de la cession : les propriétaires se planquent jusqu’au dernier moment afin de vendre tranquillement au plus offrant… les grossistes ! », précise Martine Cohen, présidente de l’association Agir solidairement pour le quartier Popincourt. A la Semaest de dénicher un repreneur. Mission difficile : parmi les 1 000 candidats annuels, des galeries d’art, des agences de voyage, des salons de thé… mais zéro commerce de bouche. La pénurie de bouchers, charcutiers ou poissonniers frappe tout Paris depuis maintenant quelques années. Pourtant les heureux élus ont des conditions de location ultrapréférentielles : pas de droit d’entrée, remise à neuf des espaces, loyers à la baisse… Dans le 11 e , l’ambiance se gâte : l’Association des commerçants chinois du prêt-à-porter en France soutient les locataires qui réclament des dommages et intérêts devant le tribunal lorsque les propriétaires refusent de renouveler leur bail. La Semaest garde le cap et s’engage souvent auprès des propriétaires à ne pas préempter à condition qu’ils ne vendent pas à un grossiste : 22 protocoles ont ainsi été signés dans le secteur Temple et 55 côté Popincourt. Impossible en revanche d’intervenir lorsqu’il s’agit d’une simple cession des baux commerciaux (location). Depuis juin 2005, une loi permet pourtant la procédure. Mais les décrets d’application n’ont pas encore vu le jour.

Le PLU au secours du 11 e

Le Plan local d’urbanisme (PLU) protège 21 kilomètres de rues parisiennes : impossible alors de transformer, lors d’un transfert de bail, une boulangerie en magasin de chaussures, une boucherie en bureaux ou… en boutique de gros. Si le PLU s’applique sur les terres de Georges Sarre, en revanche il est interdit sur celles d’Aidenbaum, plan de sauvegarde du Marais oblige. Une demande de dérogation est sur le bureau du ministre de la Culture.

Louise Couvelaire